TÉMOIGNAGE : Redfield Jamison, née le 22 juin 1946, est une psychologue et essayiste américaine. Elle est l'une des tout premiers experts américain du trouble bipolaire, dont elle souffre elle-même.

 



TÉMOIGNAGE : Redfield Jamison, née le 22 juin 1946, est une psychologue et essayiste américaine. Elle est l'une des tout premiers experts américain du trouble bipolaire, dont elle souffre elle-même.
Extraits de "l'exaltation à la dépression"
"M'en donnerait-on le choix, je me suis souvent demandé si je voudrais être bipolaire. Si l'on ne pouvait pas se procurer de lithium, ou s'il ne me réussissait pas, la réponse serait un non catégorique – sous le coup de la terreur. Mais le lithium agit très bien sur moi, et je peux donc me permettre de poser la question.
Chose étrange, je crois que j'hésiterai sur le fait d'avoir cette maladie.

Ce n'est pas simple. L'accès mélancolique est horrible au-delà de tout ce qu'on peut s'en représenter -mots, sons, images – et je ne voudrais pas en passer de nouveau par une dépression prolongée. Méfiance, manque de confiance en soi et de respect de soi, incapacité de jouir de la vie, de marcher, parler ou penser normalement, épuisement, terreurs nocturnes, terreurs diurnes, tout cela détruit les relations. Il n'y a rien de bon à dire de la dépression si ce n'est qu'elle vous apporte l'expérience d'être vieux et malade, et mourant. D'être lent d'esprit, de manquer de grâce, d'élégance et de coordination. D'être laid, de ne pas croire un instant aux possibilités de la vie, aux plaisirs du sexe, au ravissement de la musique, à votre aptitude à rire et à faire rire les autres.

Les autres laissent entendre qu'ils savent ce que c'est d'être déprimé parce qu'ils ont rompu avec quelqu'un, divorcé, ou perdu leur emploi. Mais ces expériences-là sont riches d'émotions et de sentiments.
La dépression, elle est terne, vide, intolérable. Et assommante. Les gens n'ont pas le courage de rester près de vous. Ils pensent qu'ils le devraient, ils leur arrivent même d'essayer. Mais vous savez, ils savent que vous êtes ennuyeux à périr – irritable, paranoïaque, dépourvu d'humour, éteint, critique, exigeant. Ils ont beau dire et faire, ils ne parviennent jamais à vous rassurer, à vous réconforter. Vous avez peur et vous leur faites peur. Vous n'êtes plus du tout vous-même mais vous le redeviendrez bientôt, et vous êtes bien sûr que ce ne sera pas le cas.

Alors, pourquoi voudrais je être concernée de près ou de loin par cette maladie ? Parce que je crois honnêtement que je lui dois d'avoir éprouvé plus de choses, plus profondément. D'avoir eu plus d'expériences, plus intenses. D'avoir aimé davantage et d'avoir été plus aimé. De rire plus souvent pour avoir plus pleuré. De mieux apprécier le printemps au sortir de l'hiver. D'avoir porté la mort aussi étroitement qu'une salopette, et d'en avoir mieux conscience- comme de la vie. De connaître le meilleur et le plus détestable des êtres. D'avoir appris lentement la valeur de l'affection, de la bienveillance, de la sincérité. De savoir ce que c'est d'être là dans les coups durs.

J'ai pris la mesure de mon esprit et de mon cœur, vu combien tous deux sont fragiles, et demeurent si mystérieux. Déprimé, je me suis traîné à quatre pattes pour traverser une pièce, et ce la pendant des semaines. Mais normale ou maniaque, j'ai couru plus vite, pensé plus vite, aimé plus fort que la plupart des gens que je connais. Et je pense que cela tient pour beaucoup à la maladie – à l'intensité qu'elle donne aux choses, à la perspective qu'elle m'impose. Je crois qu'elle m'a fait toucher les limites de mon intelligence qui ne sait pas toujours ce qu'elle veut, et les limites de mon éducation, de ma famille, de mon instruction. Les limites de mes amis.

Mes innombrables manies modérées, et les manies franches elles-mêmes, m'ont toutes apporté un supplément de perception, d'émotion, et de réflexion. Même quand j'étais le plus effroyablement psychotique – délirant, halluciné, forcené – j'avais conscience de découvrir de nouveaux espaces de mon cœur et de mon esprit. Certains ce ces aspects inconnus de moi-même étaient beaux à couper le souffle, à vous tuer sur le coup – moi, ils m'aidaient à vivre. D'autres étaient grotesques et laids, j'aurais préféré ne pas les connaître et ne jamais les revoir. Mais, toujours, il y avait cette découverte de moi-même et, dans mon état normal, que je dois à la médecine et à l'amour, je ne peux pas imaginer devenir blasé de la vie, parce que je connais ces échappées inépuisables.

Il y a une souffrance, une jubilation, une solitude et une terreur propres à la folie bipolaire. Dans ces envolées, c'est fantastique. Les idées et les émotions fusent à la vitesse des étoiles filantes. Et puis soudain tout change. La lucidité fait place à une confusion accablante...., on devient irritable, mauvais, craintif, insupportable, totalement égaré dans les plus sombres cavernes de l'esprit. Et cela n'a pas de fin, la folie creusant elle-même sa propre demeure.

Je ne suis pas toujours certain qu'une vie simple et tranquille m'aurait convenu, mais ça ne m'empêche pas d'en rêver........."
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