« Bonjour à tous, je vais vous raconter mon parcours de maman de bipolaire.
En effet, je suis la maman d’un jeune homme bipolaire aujourd’hui âgé de 35 ans.
Difficile de savoir quand çà a commencé : déjà des comportements extrêmes dès l’âge de 18 ans mais c’est à l’âge de 23 ans qu’une amie m’a dit « ton fils doit être bipolaire ». Je ne savais pas ce que ça voulait dire.
Le diagnostic s’est confirmé, et très rapidement nous avons tout connu. Je dis « nous » parce que je ne l’ai jamais lâché. De son côté : phase up, hospitalisation avec isolement dans un HP qui tenait davantage du milieu carcéral des années 90, délires mystiques, tentative de suicide face à moi, croupissement dans le noir , le sommeil, la saleté, le logement à l’abandon, etc…
De mon côté : Solitude. Solitude. Solitude. Seule au milieu des autres. Famille de militaires où tout le monde marche droit, et lui qui allait de travers. Je ne l’aurais pas abandonné malgré toute la violence qu’il m’a jetée à la figure, malgré le choc de la dégringolade que j’avais sous les yeux. Maintes fois, je me suis dit : « si on m’oblige à choisir entre lui et le reste de la famille, mon choix est évident. Je ne laisserai pas mon fils. » J’aurais renoncé à mon couple plutôt qu’à mon fils.
Pendant 6 ans, on peut véritablement parler d’errance thérapeutique. Une multitude d’essais de traitement (lithium , Abilify, etc …) à des dosages divers pour des résultats divers, toujours médiocres. Au final, un légume engoncé dans une ouate enivrante, dans 35 kg supplémentaires de graisse, avec diabète, problèmes cardiaques, foie et reins quasi-détruits. Deux comas diabétiques. Très souvent quand on a un enfant handicapé, on s’inquiète de son avenir, de ce qu’il va devenir quand on ne sera plus là. Je n’ai pas eu cette inquiétude. A cette période, l’espérance de vie de mon fils était plutôt limitée. Je n’espérais rien pour lui sinon qu’on le laisse tranquille et que ça s’arrête d’une manière ou d’une autre…
Dans une période de mieux, il avait rencontré une jeune fille mignonne comme un cœur. Bien entendu, elle a pris peur et elle n’est pas restée. Quand elle est partie, j’ai cru que la fin du monde était arrivée. Je me suis dit que, bien évidemment, mon fils allait replonger en dépression profonde.
Pas du tout, ce départ a été un véritable déclic pour lui : il est sorti de son lit, au sens propre comme au sens figuré. Il s’est complètement repris en main. Il a passé des jours et des jours sur internet pour comprendre sa maladie et le fonctionnement endocrinien de l’organisme. Il a suivi des ateliers diabète au CHU (un autre) ainsi que des ateliers de psycho- éducation. Avec l’accompagnement de son psychiatre, il a diminué progressivement les médicaments jusqu’à les supprimer. Il s’est infligé un régime alimentaire drastique.
Aujourd’hui, il a reperdu ses 35 kg de trop, il gère ses repas, son linge, son ménage, il n’a plus honte de son corps et a retrouvé une vie sociale. Prochaine étape, retour à l’emploi, une grosse étape. C’est long à venir mais j’ai appris que chez les bipolaires, l’échelle-temps n’est pas la même que pour notre société formatée.
De mon côté pendant la pire période, j’ai fait la connaissance de l’UNAFAM et de AZRGOS 2001. Puis la planche de salut pour moi, ça a été un programme Profamilles organisé par l’hôpital psychiatrique de Poitiers. C’est un programme normalement destiné aux proches de schizophrènes mais compte-tenu de certaines similitudes, j’ai été autorisée à y participer. J’ai convaincu mon mari d’y participer avec moi pour qu’il comprenne qu’on parle de maladie, pas de caprice ou de comédie. Nous avons fait ce programme ensemble, une réunion de groupe toutes les trois semaines pendant six mois, puis un suivi mensuel. Un programme qui apprend à communiquer avec le proche, à comprendre, à réagir. Cette expérience commune nous a rapprochés.
Aujourd’hui, le sujet n’est plus tabou. J’arrive à en parler. C’est moins conflictuel. Cet apaisement familial profite à tout le monde. Les relations sont facilitées, et tous les autres participants au programme ont constaté comme nous, un apaisement de leur proche malade et des échanges plus faciles.
Je connais assez les troubles bipolaires pour savoir que rien n’est jamais acquis, qu’il faut rester vigilant, que tout peut arriver. Mais ce que je vois aujourd’hui, c’est un jeune homme qui a retrouvé goût à la vie, et qui y croit à nouveau. Alors je veux y croire avec lui.
Je veux terminer en disant qu’il existe des bipolaires qui arrivent à avoir une vie quasi-normale, avec une activité professionnelle. C’est possible. Alors pourquoi pas nous ?
Une maman sans modération »