Témoignage personne souffrant de Troube Bipolaire

 Témoignage d'une personne souffrant de trouble bipolaire. Merci pour ce témoignage de vie qui nous permet de mieux comprendre cette foutue maladie 


" Je suis une bipolaire de 22 ans, et je vais vous raconter mon histoire.

- les premiers signes et le diagnostic

J'étais celle qu'on voyait comme l'élève enthousiaste, la musicienne hyperactive, l'amie chaleureuse. Venue de famille nombreuse avec beaucoup d'amour mais aussi de souffrances. 

Rien n'aurait pu présager que je portais en moi une bipolarité latente, si ce n'est ma très grande émotivité et sensibilité etant enfant, qui m'ont rendue très musicienne, et peut-être ces moments très religieux que j'avais depuis mes 6 ans. Je me vexais facilement et j'étais differente, et j'avais énormément besoin de sommeil. Très sensible au regard des autres, je n'étais jamais assez bien pour mon père -sauf quand je jouais au piano et que je ramenais un beau bulletin.

J'etais une enfant solitaire, mais heureuse, et j'avais quelques amies, même si j'ai fort vécu le rejet les dernières années de primaire, du fait de mon style pas grès à la mode. 

Je lisais enormément car les mots m'aidaient à me sentir bien. Arrivée en humanités, tout ce passe bien et j'ai de bons résultats. Je suis bien intégrée, enfin. De grandes amitiés se tissent. Mais l'école est exigeante, et je souffre beaucoup de stress et de manque de sommeil sur une longue période, car j'ai du mal à m'organiser, entre l'école et le piano, le chant lyrique d'opéra, le tennis et les guides.

Et puis à l'hiver de mes 16 ans, je bascule dans une dépression profonde. 

Les professeurs s'inquiètent, je ne suis plus cette élève enthousiaste en cours, je dois écrire des sujets de conversation sur mes mains, je me réfugie dans les toilettes dès que c'est la pause, parce que je ne sais plus affronter les relations sociales. Je suis effrayée de la pause midi, je m'accroche à un groupe avec qui je mange presque en silence.

Etant adolescente, ma mère pense à une anorexie car je ne mange pas (un symptôme de la dépression), elle m'envoie donc chez un psychologue. Par chance, il est lui-même passé par la bipolarité et en quelques semaines, il comprend que je souffre de cyclothymie/bipolarité à cycles très rapides. En effet, pendant environ deux semaines j'étais dépressive, et puis j'avais deux semaines débordantes d'énergie, avec un cerveau qui va vite, beaucoup trop vite, et beaucoup trop déshinibé. Je m'exprime sur Facebook à la vue de tous (Facebook, depuis, aura toujours été dangereux pour moi dans mes phases up).


En phase haute, on est drogué à ses propres émotions. Tout est fort, bouleversant, irritant presque. On s'emeut de tout, on s'enerve très fort. C'etait nouveau pour moi, mes parents croyaient y voir ma crise d'adolescence. Je vais voir ma première psychiatre après quelques excès et le diagnostic tombe: je suis bipolaire. À la fois un soulagement, car on peut reprendre le contrôle, mais aussi le choc des responsabilités. C'est comme être diabetique: la bipolarité, c'est à vie, et l'insuline, ce sont les thymorégulateurs. On me prescrit un antiepilleptique, la Depakine, qui fera effet après cinq mois, et le Zyprexa en cas de crise. 

Ce sera un yoyo de deux semaines pendant longtemps. J'ai vécu Venise etant complètement à plat dans mon cerveau, puis un stage de langues complètement speedée, et première fois que je tombe amoureuse, celui qui deviendra mon meilleur ami.

Le temps passe. Je réussis ma quatrième de justesse, mais je double à l'académie de musique. Le camp scout de l'été sera mon dernier, trop éprouvée par une sévère dépression. Je rentre en cinquième enfin stabilisée, espérant amoindrir les ravages que j'ai faits l'année precédente. Car les gens parlent beaucoup, et cette fichue maladie n'est comprise de personne.

En fin de rhéto, prendre ma Depakine est un réflexe. Ma mère est toujours derrière moi, attentive à l'evolution de la maladie, guarde fou et elle commande quelques livres qui m'aideront beaucoup.


J'ai rechuté après trois années d'université plutôt exaltantes mais chaotiques. Etant donné que je suis stable, je pense n'être plus bipolaire. Grave erreur. Il m'arrive souvent d'oublier mes medicaments, et j'ai souvent des légeres phases qui reviennent, ce qui provoque à nouveau de tomber folle amoureuse et d'être beaucoup trop sur Facebook.

Je décide à un moment donné de changer de psychiatre et d'opter pour celui qui est contre les médicaments, ou plus scrupuleux. Mais j'arrive chez lui en ayant déjà arrêté depuis un mois.

Le psychiatre pense que je ne suis pas forcément bipolaire, car je n'ai jamais fait de réelle crise maniaque, jamais été en HP (hopital psychiatrique) et qu'il ne faut pas mettre d'étiquette, il parle du patient désigné quand une famille va mal. C'était le cas, donc j'y crois à fond. 

Un gros souci par rapport à mon père me fragilise et je quitte mon premier copain, avec qui j'avais pourtant une relation fusionnelle -mais pas parfaite. La phase hypomaniaque (ce que j'appelle aussi la speedagitation niveau 1) me rend manichéenne, audacieuse, et capable donc de rompre. Ma mère qui s'inquiète comprend les raisons que je me donne.

À l'universite, je peine à suivre mes cours de bac3, car en phase up/haute/speedagitee/hypomaniaque, bref, quand je vais bien+++ je m'engage dans mille projets, que je peine à assumer par la suite. Tantôt au micro pour présenter des conferences, tantôt à des cours de philo pour jésuites, tantôt à des jobs etudiants farfelus et parfois à mes cours, je mène un rythme effréné, où je ne cesse de rencontrer des gens, apprendre des choses. 

Puis, en blocus, je tombe en depression sévère, où je pleure réfugiée dans le lit de ma mère, où j'ai des idées noires et suicidaires. Ma mère s'inquiète de la mauvaise prise en charge et me convainc de reprendre mes médicaments. Mais le psychiatre ne donne pas son accord, car il veut que je mène ma fenêtre thérapeutique jusqu'au bout et met ma phase down sur le compte des examens.

Mais même en vacances, je suis profondément déprimée. Quand mes amis skient, je reste prétextant une migraine et je passe la journée à essayer de raviver mon cerveau complètement ralenti.

Quelques temps plus tard, je retombe follement amoureuse d'un ami rencontré il y a peu et que je ne connais pas vraiment. C'est mutuel et je me laisse complètement porter. Mais dans les dépressions, je me sens terriblement seule, incomprise, loin, je ne suis bien que dans ses bras; mais j'ai peur, car je n'ai rien à lui dire. Il le vit autrement: il me trouve enfin calme et il aime ça. Les phases euthymiques (stables) sont là aussi, mais courtes. Au fur et à mesure du deuxième quadrimestre, le stress des examens, la pression d'être avec quelqu'un qui n'a jamais rien raté et qui n'est pas vulnérable, la fenêtre thérapeutique, l'envie de ne pas échouer à nouveau dans mon couple, mon ex colérique qui me culpabilise, mon père qui part de la maison, la fin de mon bachelier, autant de choses qui me fragilisent et c'est comme si mon corps vire en phase maniaque pour que je puisse surmonter tout cela.


J'ai une phase maniaque de 12 jours tous les fins de mois. 12 jours pendant lesquels je cours partout, je mange et dors peu, je suis comme sous cocaïne. Première fois dans l'histoire de ma bipolarité où je mens à ma mère, mon copain, moi-même; j'ai des achats compulsifs, une libido difficile à canaliser, et je n'ai plus de filtre sociaux. Dans le métro, je parle aux SDF comme aux hommes d'affaires. J'écris énormément de choses sue facebook, crée des events burlesques où j'invite 500 personnes, je deviens aggressive et vulgaire, pour l'adrénaline que donne le fait de dire des horreurs. Je fais des nuits blanches, des trajets en train aleatoires, je me mets en danger. Ma mère est très inquiète, essaye de me raisonner, impossible. Un bipolaire en phase haute n'est maqué que par une rupture, un neuroleptique, ou une dépression. La maladie m'eloigne de mon aimé, notre relation est malmenée, il ne me reconnaît plus ou croir decouvrir ma vraie personnalité. Il décide de me quitter.


Et là c'est le drame. J'ai raté toute ma session d'examens, le seul repère affectif que j'ai me laisse tomber en pleine tempête, et j'ai perdu ma réputation, et beaucoup, beaucoup d'argent. Je songe très sérieusement à la mort et décide de me laisser mourir de faim, de soif, je ne reagis même pas à la rupture, je suis complètement choquée. Jamais je n'avais été aussi vulnerable avec quelqu'un, et j'ai l'impression de ne plus jamais pouvoir être aimable a cause de ma maladie. 


Mais la bipolarité se soigne. Lentement, très lentement, mais sûrement. On m'hospitalise avant qu'il ne soit trop tard. A l'hopital, je commets une TS qui sera évitée juste à temps. J'y vis deux mois et demi, le temps de trouver des médicaments, et que la situation familiale se calme. La seule chose qui me tient en vie est une grande fête que je dois organiser et qui est prévue depuis longtemps. Je pense reporter mon suicide à après cette date là. 


L'hopital est un univers carcéral en blouse blanche. Mais on se repose enfin de soi-même, du monde, pour guérir sa santé mentale. Le fait d'y être me permet d'assumer ma bipolarité, de ruminer sur toute une année écoulée, mais n'etant pas encore stabilisée, j'y fais aussi beaucoup de turbulences.

La depakine prend cinq mois à me stabiliser.  Je sors peu avant ma grande fête et je décide d'habiter chez mes grands-parents. 


Je crois qu'il m'a bien fallu une année d'isolation pour reprendre confiance en moi, en mon intégrité psychique, en mes capacités intellectuelles. Je ne me suis jamais vraiment remise de la rupture, malgré un travail difficile, je pleurais tous les soirs. Le confinement a permis de vivre en famille à un tempo nouveau et de me réajuster. Je réussis brillament tous mes examens et le déconfinement sonne comme un nouveau départ. 

J'y redécouvre mes quelques amis qui sont restés, malgré ma maladie mentale et mes déboires, pour qui être vulnérable est une qualité. 


Aujourd'hui, je suis stable et heureuse. Je suis très attentive à mes médicaments, comme un diabetique à son insuline. Il m'arrive d'avoir des moments très difficiles, où je repleure en pleine journée à chaudes larmes, ou bien des moments où je suis un peu trop excitée et où il faut me calmer. La piscine municipale me détend beaucoup, le sommeil est sacré.


Tout s'arrange avec le temps et les rencontres, les médicaments et la poésie.

J'ai de la chance d'avoir été diagnostiquée tôt. J'ai l'impression d'avoir perdu l'amour de ma vie, mais pour le reste, je n'ai pas de regrets. Au moins, je sais que je suis bipolaire, je sais ce que c'est que de souffrir et d'aimer. Et je dois apprendre à aimer l'ennui et la stabilité. N'est-ce pas cela vivre?


Merci de m'avoir lue."

Argos 2001 Doubs Franche-Comté

E-café Sam. 27 mai 2023 10h-12h