" Bonjour à tous. Après avoir lu avec soin deux riches témoignages, l'un sur la difficulté du monde du travail pour nous bipolaires, et l'un sur le cheminement vers une certaine (belle) stabilité qui peut passer par différents événements (dont outre travail), je vous propose un exemple de vie, la mienne, professionnellement chaotique ; et des parades pour ne pas s'exclure de la société.
C'est en 2012 que je termine un Master 1 après des années de Mentions Très Bien et Bien dans mes études, avec un stage qui se révélera très réussi. Rempli d'éloges et dont le travail rendu sera approuvé par l'organisation où j'ai pu travailler. S'annonce alors une carrière très prometteuse puisque je trouve pour apprentissage de Master 2 une très importante compagnie, très élitiste, qui me fait une place de choix. Pour moi qui était déjà diagnostiquée bipolaire depuis alors 4 ans, et sans doute l'étant d'ailleurs depuis 8 ans, mon avenir professionnel s'annonçait radieux et pas l'ombre d'un nuage n'était au ciel. Bien que les études furent amoncelées de périodes de dépression, la passion dévorante que j'avais pour celles-ci me remettait toujours en piste au moment des partiels, dans un stress qui était là et seulement là totalement bénéfique.
Mais mon Master 2 fut le commencement d'un certain chaos. 35Heures (et heures supplémentaires non déclarées mais acceptées volontiers) de travail en entreprise, 35h la semaine suivante voire 40 en cours et ses exposés en plus tard le soir, avec un traitement qui pourtant me clouait au lit dès 20heures... Non, je ne tenais plus le rythme. C'est ainsi que j'ai connu pendant cet apprentissage mon premier arrêt maladie pour dépression, puis des périodes de fluctuations de capacité de travail par phases hypomaniaques, mixtes ou dépressives. Là où les dirigeants étaient ravis de leur recrutement, les mois s'écoulaient et ils en devenaient sceptiques. L'année se termine de la façon suivante : une sorte de burn out, 4 mois d'hospitalisation, des partiels d'examens réalisés en rattrapages des premiers rattrapages où bloquée en hôpital je ne pouvais aller...et donc un grand manquement à l'entreprise. Bref, ce Master 2 je le terminais sur des 0 en partiels et sur un mémoire de fin d'études non rendu. L'académie me l'a donné en me l'exprimant ainsi : on vous le donne malgré tout. L'entreprise n'a plus voulu entendre parler de moi – les phases hypomaniaques ayant engendrées des attitudes « perchées » qui ont choqué un grand nombre de dirigeants (je travaillais dans les bureaux de la direction), les phases dépressives se comprenant un peu mieux par eux mais ne me permettant pas une productivité jugée normale.
Je suis sortie de ces études, de cet apprentissage sans reconduction d'un contrat en CDD puis CDI qui m'avait été promis. Il fallait tout recommencer à 0 dans mes recherches et j'ai déménagé loin.
Les premières recherches d'emploi puisque j'ai quand même validé mon diplôme, même d'une drôle de façon... Sortant de 4 mois d'hospitalisation psychiatrique, je mets un moment à m'en remettre et ne cherche alors pas vraiment activement au début. Un peu d'oisiveté je le reconnais, j'essaie juste de rétablir mon moral. Je me rends compte que j'ai commencé à perdre beaucoup de points : encore un peu de confiance en moins, de la concentration, de l'attention...
Mais je me lance enfin dans mes recherches. Et là, la dégringolade professionnelle commence. Je vais faire l'accroche ainsi : je n'ai pas réellement travaillé depuis cet apprentissage en 2012/2013.
J'ai essayé une vingtaine de contrats de mémoire, une vingtaine d'emplois donc. Arrive toujours la même rengaine : je tiens les postes entre une demi-journée (et par une fois je n'ai même pas pu me rendre à l'entreprise qui venait de me recruter pour ne serait-ce que faire une heure...) et deux mois maximum. J'ai beau essayé : dans mon domaine d'études où je suis diplômée et expériences, dans un métier passion, dans du job alimentaire ou dans des métiers qui me bottent sur papier. Je n'ai pas de difficultés à être embauchée. En effet, en phase plutôt haute, je postule beaucoup je suis une pile électrique et sais convaincre dès la lettre de motivation (qui vaut désormais bien plus que mon CV troué) pour décrocher un entretien...où la confiance en moi de la phase haute me donne toutes les clefs pour faire entendre à l'employeur ce qu'il faut pour qu'il me recrute.
Mais les raisons à ce que je ne reste pas en poste ? Pour mes propres ruptures de période d'essai : un stress épouvantable pour commencer. Des attaques de panique à n'en plus finir sur lieu de travail. Sur un lieu de travail d'ailleurs j'avalerais beaucoup de médicaments, sans en faire une tentative de suicide pour autant, j'en serai « éméchée » tout de même, c'est très mauvais pour la santé. Il y a aussi divers autres facteurs : le non-sens ressenti quand on a accumulé trop de souffrances, de ne pas trouver de « puissance supérieure » sans parler du tout religion mais dans un sens...d'un sens oui qui m'animerait pour le travail. Il y a le vide extrême et le sentiment d'ennui dans la plupart des postes. S'imaginer plusieurs heures semaines pendant 47 semaines par an sur le même poste, c'est abyssal. Il y a la fatigue, des médicaments, des moyens de locomotion... Il y a le manque total de confiance en soi, le syndrome de l'imposteur... Je pense que j'en oublie, mais tout ça fait tendre rapidement vers une certaine dysthymie si pas pire, une dépression. Et puis il y a eu les deux cas où l'entreprise elle-même a annulé ma période d'essai parce que ma concentration, mon attention, ma capacité d'apprentissage étaient quasi nulles... (alors même qu'en études j'excellais, la maladie s'étant empirée depuis).
Peut-être que certains se reconnaîtront dans ce témoignage ?
Pour un autre exemple, en hypomanie : je décide de commencer un tout nouveau métier. Sans aucunes bases, je postule à un poste et je suis tellement convaincante qu'on me promet un job saisonnier puis une alternance pour avoir un diplôme dans ce nouveau métier mais aussi juste après une création de poste CDI. Avant même de commencer le contrat je fais du démarchage de partenaires, je construis des supports d'animation (métier dans l'animation), etc.... Puis je commence et le jour J au soir, je vois que ce ne sera pas du tout mon truc, les angoisses sont revenues... Je laisse tout tomber, s'en suit une belle déprime.
En mai dernier encore j'ai essayé un tout nouveau métier, j'ai tenu deux journées. Ça en devient un record... Là, que fais-je encore, je recommence à re-regarder quelques offres. Deux boîtes viennent d'essayer de me joindre plusieurs fois, m'ont laissé des messages : c'est sans doute un intérêt pour me demander de réaliser un entretien de recrutement. Mon anxiété généralisée m'empêche totalement d'écouter ces messages. Alors je vais me griller sans réponse...
Je suis d'ailleurs déjà « grillée » dans plusieurs boites d'interim... Le travail ne s'annonce pas radieux. A 30 ans je ne me vois en fait jamais plus travailler... J'aurai tenté, mes jobs étudiants, mes stages, mon apprentissage... Tout ça pour ? Du chômage... Parce que la maladie n'épargne pas. Après que chacun se rassure, chaque parcours est bien unique. Nombreux sont ceux qui s'en sortent au travail. Mais moi, cela demeure une montagne. Malgré des suivis Cap Emploi (le Pôle Emploi des handicapés), ma reconnaissance RQTH... Je suis dans un beau flou artistique.
Alors je touche l'AAH. Mais celle ci n'étant pas à vie mais reconductible, je suis un gouffre d'angoisse à l'idée que malgré tout elle ne soit reconduite. Et qu'alors je vienne vivre dans une misère folle...
Amour à vous tous qui réussissez à travailler malgré tout. Amour à vous tous qui sont dans la même galère que moi. Courageux qu'est un chacun.
Alors pour m'occuper, actuellement que fais-je ? Je fréquente assidûment un Cattp. Je sais que ce n'est qu'une parenthèse, que ce ne peut être à vie. Mais au moins j'y respire franchement et c'est comme ça que je ne suis pas exclue de la société. Le Cattp c'est un Centre Thérapeutique d'Activités à Temps Partiel pour les malades psychiatriques, dont nombreux sont bipolaires. Nous y avons, un peu comme à l'hôpital de jour mais en plus soft, sur demi journées souvent que l'on choisit à sa guise, des activités : écriture, théâtre, sport, sorties, randonnées, jeux, affirmation de soi, accueil autour d'un café...accompagnés d'infirmiers psychiatriques. C'est une très belle façon de se faire un planning et ne pas dépérir à rester chez soi.
Je réalise aussi par périodes des bénévolats, via le télé-travail ; dans des domaines parfois proches de mes études. Quand je suis en forme en fait. Le grand avantage est que je construis mon emploi du temps moi même, que ce n'est pas trop chronophage ni stressant, que je peux faire des pauses où l'on ne me juge pas... Le bénévolat est aussi une source d'épanouissement.
Je ne sais plus trop bien comment résumer tout cela... Je profite avidement du Cattp pour ne pas déprimer. Des bénévolats quand je suis en forme. Vers quoi aller pour le travail reste compliqué... Je suis à moitié stabilisée mais dans une euthymie basse alors de quoi sera fait l'avenir... Je l'espère aussi de renouveaux dans les approches thérapeutiques autour de la bipolarité. Peut-être finirai-je par faire un bilan de compétences, mais les angoisses, le vide....devront continuer à essayer d'être soignés en TCC sûrement.
Message teinté de mes déboires et de quelques espoirs, voici ces quelques lignes...
Bien à vous tous chers bipotes, et aidants."